Le mythe du "zéro à quelque chose"

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Petite réflexion sur la fameuse maxime "Créez votre business à partir de rien du tout". Mythe? Réalité? Pièges? Lisez pour en savoir plus et n'hésitez pas à proposer une critique

« Comment se lancer avec zéro franc ou dollars». Si vous êtes un entrepreneur ou aspirant entrepreneur, vous avez surement dû croiser cette formule un jour ou l’autre. La recette attractive vise à faire paraitre l’entrepreneuriat moins sorcier qu’il ne l’est, moins inaccessible. Elle consiste à trouver des moyens de contourner la nécessité d’un financement de départ, pour se lancer sans rien et bâtir tout en cours de route. La vérité aussi qu’on ne nous dit pourtant pas, c’est « qu’un business qui ne nous demande rien au départ prend aussi son temps pour nous rendre l’argent qu’il devrait produire» ; allons comprendre pourquoi et découvrir d’autres faces cachés de la philosophie du « 0 fond nécessaire ».

Tout d’abord, quelques bons points et applications de la philosophie du « 0 fond nécessaire ».

Vous êtes passionnés par la restauration et vous vous dites que vous aimeriez avoir votre restaurant à vous. Vous n’avez toutefois pas les quelques milliers ou millions de francs qu’il faudrait pour acquérir locaux, personnel, couverts, équipements et autres indispensables pour un restaurant ou même juste un tournedos. La théorie du « 0 fond nécessaire » vous amène à penser dans un premier temps votre restaurant sous la forme la plus accessible et minime qui soit : c’est la loi des petits commencements. Que faites-vous donc ? Au lieu du restaurant classique, vous créez un service de livraison de repas où en fait, vous fournissez des plats de restaurants existants à coté de chez vous. Vous vous contentez d’ajouter peut-être une petite marge de 100F ou 200F par plat et vous facturez le transport entre 500F et 1000F ce qui vous permet de gagner par commande entre 200F et 600F voir plus si vous avez des commandes groupées ou dans une même zone. Vous présentez ces plats comme les vôtres sur votre carte et techniquement on peut donc dire que vous vous êtes lancé à 0F. La philosophie du « 0 fond nécessaire » est ce qu’il faut enseigner à ceux qui n’osent rien faire soit disant ils n’ont pas les moyens. Elle permet la parfaite application de la maxime « Rêvez grand, commencez petit et commencez maintenant. ».

Elle s’avère aussi intéressante en cours de vie d’une entreprise. Je faisais l’une de mes premières consultations en management pour une petite entreprise qui souhaitait lancer un nouveau service. J’ai conçu un plan après plusieurs simulations pour avoir la meilleure façon de lancer le service en question. Mise de départ autour de 60 000F et l’entreprise les avait largement. Toutefois, l’entrepreneur s’est refusé à le faire et a choisi une stratégie alternative qui ne lui couterait rien. Sur le coup, le service a été lancé et a fait parler de lui au point de lui valoir un nouveau contrat plutôt avantageux et qui ne lui couta pas un franc. J’ai souri, j’ai remballé ma stratégie et pris une leçon de sagesse financière. Ce n’est pas parce que l’argent est là qu’il faut nécessairement le dépenser. La philosophie du 0 fond nécessaire est donc un bon atout pour bâtir une gestion financière aux cordons serrés (à flux tendus).

Mais maintenant, l’idéal du « 0fond nécessaire » est-il celui à poursuivre ? Non, les travers de cette philosophie pèsent sur des entrepreneurs novices qui bien souvent ne se rendent compte de rien.

Premièrement, il n’y a pas vraiment de profit créé sans investissement. C’est impossible ! Même si on n’investit pas des sommes pharamineuses, on investit toujours soit du temps, soit de l’expertise, soit de l’argent à petite dose, soit notre matériel, etc. Dans l’exemple plus haut portant sur le restaurant sans capital de départ. L’idée est éloquente, amusante et apparemment attractive mais voici ce qu’on ne vous a pas dit :

  • Vous dépenserez pour faire connaitre votre service et votre carte. Même si vous ne mettez que 100F pour votre connexion internet chaque jour, il faudra un investissement régulier de 100F pour que votre pub sur les réseaux sociaux vous attire des clients.
  • Vous dépensez en avance sur chaque commande: d’abord pour aller chercher le plat dans le restaurant alentour, ensuite pour payer le plat en avance (car la préférence va généralement au paiement à la livraison) et vous avancerez encore probablement les frais aller pour la livraison (à moins que vous ne facturiez vos frais de livraison en avance).
  • Si vous ne tenez pas compte des deux premiers points lorsque vous évaluez vos bénéfices et votre activité, vous vous retrouverez très fréquemment à la case banqueroute. On assiste souvent à ce phénomène, où on est surpris de vendre plus mais de ne jamais rester avec assez d’argent en poche, comme si ce qu’on gagnait disparaissait aussi sec. C’est parce qu’en plus d’avoir des marges minimes, il y a des coûts que l’on ne prend pas en compte et on commet souvent l’erreur de se payer sur le chiffre d’affaires réalisé plutôt que de se payer sur les marges alors on doit à chaque fois trouver de quoi financer ses stocks, etc.
  • Si vous ne créez pas très vite des éléments de votre carte que vous produisez vous-même, vous ne progresserez jamais ou si oui trop lentement. Pourquoi pensez-vous que Casino vende des produits Casino ? Pourquoi la farine de Cameroun bébé vendu chez Cameroun bébé a-t-elle le meilleur prix et s’écoule-t-elle plus vite ? Je vous laisse avec ces questions.

Vu qu’on est à ce niveau de la réflexion où l’on commence à peser l’impact de la philosophie « 0 fond de départ » sur la pérennité et la rentabilité d’une entreprise ou d’un projet, intéressons nous à l’exemple deux, cité plus haut. Je vous ai dit que j’ai pris une petite leçon de sagesse, toutefois, faisant le suivi du choix stratégique du promoteur, j’ai du constater d’affreuses réalités.

  • Lorsque vous refusez d’investir, ne vous attendez pas à faire de grands profits sur la durée : Le juteux contrat cité plus haut a été le seul qui a pu être conclu sans qu’on investisse quoi que ce soit. Etant donné que l’entêtement a été d’espérer gagner dans cette logique du on ne dépense rien, l’entreprise est restée pendant plusieurs mois sur cette seule victoire. Il a fallu le recours d’un autre professionnel pour revenir à mes propositions de départ qui incluaient de mettre un tant soit peu la main à la poche. On n’obtient rien sans rien.
  • Lorsque vous refusez d’investir, assurez vous quand même d’avoir un pouvoir de négociation car autrement vous courrez à la perte : revenant sur le juteux contrat on s’est rendu compte, qu’il ne nous accordait pas les privilèges qui normalement vont avec ce type de contrat. Malheureusement, à la table de discussion avec le partenaire, on ne pesait pas suffisamment pour être restaurés dans nos pleins droits. Que celui qui ne paye pas la facture mange en silence jusqu’à ce qu’on lui retire l’assiette des mains.
  • Même si sur le départ vous réussissez à vous lancer sans rien, rassurez vous que le peu que vous gagnez est investi et non consommé : Pour comprendre ceci, je vais prendre un exemple dans le domaine des services. Vous êtes un designer et donc par conséquent, si vous avez déjà votre matériel, vous pouvez vous lancer sans rien dépenser de plus. Votre premier marché vous rapporte 75000F. Qu’en faites-vous ? L’erreur que l’on fait souvent, c’est de payer salaire, loyer et petites charges dans la totalité des 75000F ce qui fait qu’on a bien souvent les poches vides d’ici au prochain marché. Le premier reflexe que doit avoir un entrepreneur surtout dans le domaine des services c’est l’épargne (avec l’optique d’investissement). Au moins 10% de son revenu doit être épargné voir placé (même à faible taux). La deuxième erreur, nous la commettons en pensant uniquement à maintenant, sans placer un petit pécule pour le renouvellement de son matériel ou pour préparer un gros projet à venir. Etc. Bref à croire que l’argent se gagne facilement, on s’égare souvent profondément. Il faut diriger sa boite certes en sachant qu’on n’a pas forcément besoin d’argent pour se lancer mais surtout en regardant à la fois le long terme et le présent.

 

La philosophie du « 0 fond nécessaire » a ses bons et ses mauvais coté. Même si elle éloigne de nous les excuses types « je n’ai pas les moyens d’entreprendre », elle impose de savoir un minimum vers où on va et comment s’ajuster pour y arriver sans trop d’encombrement et de stagnation.

« Lancer son entreprise même si on a rien, la maintenir et l’agrandir avec le peu que l’on a gagné à partir de rien. »

 

Bien sur, ce n’est que mon hypothèse.

Cordialement,

The consultant.

Extrait de la série d'articles "Finance 100",

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commentaires
Arold Dankoué Touko 5 ans

très bon article